SENSIBLE AU GLUTEN, IL REMANGE DU PAIN ! COMMENT LES BACTERIES DU LEVAIN ELIMINENT LE GLUTEN, LES FRUCTANES ET AUTRES FODMAPS...
JE REMANGE DU PAIN
Je rencontre Justin, psychologue. Particulièrement sensible au gluten et qui dans les méandres de la conversation me dit : « Je remange du pain » dit-il ! ????
Il se pourrait donc que le pain bio fabriqué au levain plutôt qu’aux levures boulangères, permettent aux personnes sensibles au gluten de remanger du pain. C’est l’hypothèse ! Si cela est vrai et vérifié, c’est une immense nouvelle. On aimerait y croire.
S’il y a d’autres témoignages, ils doivent forcément se retrouver sur internet. De retour au clavier je cherche sur Google. Et rapidement plusieurs articles répondent : « Des solutions à l'intolérance au gluten », « Quand les personnes réactives au gluten retrouvent les joies du Pain », « Pain au levain : une solution pour la sensibilité au gluten». Ce n’est donc pas un cas isolé ! Je n’étais pas au courant.
La question se pose avec insistance : qu’est-ce qui chimiquement ferait que le levain annule la nocivité du gluten ? Comment ça se passe lors de la fermentation ? Le levain digérerait-il une partie du gluten ?
JUSQU’AU BURN-OUT DIGESTIF
Toute la chaîne de fabrication du pain est à ré-étudier.
Ce n’est plus la même terre !
Ce qui est sur c’est qu’en agriculture chimique , on ne traite plus la terre de la même manière : on la maltraite avec des bactéricides, acaricides, fongicides, herbicides, phytocides, insecticides, taupicides, virucides, molluscicides, nématicides, corvicides, rodenticides...
Ce n’est plus une terre, une terre vivante où s’épanouissent bactéries, levures, lombrics et insectes utiles, c’est un substrat mort.
Ce n’est plus le même grain : d’un épi de blé tous les quarante centimètres au Moyen Age, on est passé à 1 épi tous les quelques centimètres, portant chacun 40 à 45 grains.
Sans même avoir recourt aux OGM on peut créer par « mariage » - par hybridation – des semences qui présentent les qualités souhaitées : pousse plus rapide, plus productive, plus, plus, plus. Mais l’hybridation destinée à obtenir des caractéristiques commerciales de rentabilité a toujours la même contrepartie : l’espèce créée est moins résistante que celle que la nature aurait sélectionné (voir les travaux sur l’épigénétique, les semences paysannes, etc.). Et de ce fait, les cultivateurs chimiques ne peuvent pas se passer de pesticides. De toujours plus de pesticides. Et nous consommons les résidus de toute cette chimie irritante, voire cancérigène. Sans oublier que l’agriculture chimique a soigneusement sélectionné les semences de blé encore plus riches...en gluten ! Pour faciliter la panification.
Ce n’est plus la même panification : il faut que le pain lève vite, toujours plus vite. Alors les levures industrielles sont entrées en jeu. Exit le levain, trop lent à préparer et à entretenir de jour en jour.
Ce n’est même plus la même façon de manger : le temps manque à la pose déjeuner. On mastique moins longtemps et donc on laisse au reste du tube digestif tout le travail de digestion.
Toute la chaîne est ainsi concernée. Tout, de A à Z, est différent de ce qu’a connu l’espèce humaine depuis 12000 ans (début de l’agriculture) et en 100 ans, les bienfaits de cet aliment de base ont été sacrifiés sur l’autel des gains de productivité. On a appelé « progrès » ce « toujours plus » avec
« toujours moins (de dépenses) » et de plus en plus vite. Jusqu’au burn out digestif, à l’allergie, à l’irritation. Et qui dit irritation chronique, vous le savez, dit cancer.
QUI EST LE COUPABLE ? LE GLUTEN, LES FRUCTANES OU LES...FODMAPS !?
A force d’explorer la question du gluten, je découvre qu’on lui a mis sur le dos toute la responsabilité des symptômes du côlon irrité. Or il n’est pas le seul responsable. Une expérience scientifique d’une rare qualité apporte la preuve que le gluten n’était pas seul en cause et que des sucres appelés « fructanes » jouent un rôle tout aussi grand que le gluten.
Menée par des chercheurs de l’Université d’Oslo (Norvège), et de l’Université Monash (Australie), l'étude** s’est déroulée entre octobre 2014 et mai 2016, avec la participation de 59 adultes qui se disaient intolérants au gluten. Intolérants, mais ni victimes de la maladie cœliaque, ni allergiques au blé.
Les chercheurs qui ont imaginés cette expérimentation souhaitaient mettre en évidence les rôles respectifs du gluten et de cette famille de sucres appelés « fructanes » comme causes des symptômes présentés par leur échantillon d’intolérants au gluten. Les fructanes sont, pour résumer, des sucres dérivés du fructose (le sucre des fruits et du miel) et les chercheurs soupçonnaient ces sucres de participer à l’intolérance attribuée au seul gluten.
Les participants ont été soumis à trois régimes différents :
Régime A : à base de barres de céréales contenant des fructanes, mais pas de gluten
Régime B: à base de barres de céréales contenant du gluten, mais pas de fructanes
Régime C : à base de barres de céréales sans gluten ni fructanes, un régime dit « de contrôle »
Les participants devaient manger un type de barre une fois par jour pendant sept jours. Après une pause d’une semaine, ils recommençaient avec une autre sorte de barre, à leur insu. Comme d’habitude dans ce genre d’étude, toutes les précautions sont prises : les barres de céréales avaient toutes strictement le même goût et la même apparence. Les participants ne pouvaient donc pas les différencier. Les chercheurs ne remettaient pas eux-mêmes les barres de céréales mais utilisaient des intermédiaires. Une procédure dite « en double aveugle », afin que des facteurs psychologiques n’entrent pas en ligne de compte.
LES FRUCTANES EN ACCUSATION
Les personnes du groupe qui ont pris des barre avec fructanes (Régime A) ont ressenti 15 % de ballonnements en plus que les autres groupes. Et 13 % de troubles intestinaux en plus que celles des deux autres groupes.
Et de façon tout à fait étonnante, les patients qui ont mangé des barres contenant du gluten (régime B) sans fructanes n'ont éprouvé aucun problème intestinal en particulier.
Les fructanes sont manifestement et lourdement impliqués dans les irritations intestinales.
Les résultats de cette étude peuvent également expliquer pourquoi les gens qui disent souffrir du côlon irritable et qui adoptent un régime seulement sans gluten ne réussissent pas à se débarrasser entièrement de leurs troubles digestifs et de leurs ballonnements. A l’inverse, des études plus récentes ont montré que 70 % des personnes atteintes du syndrome du colon irritable se sentent mieux lorsqu’elles bannissent les fructanes de leur alimentation.
LES FODMAPS ? QUESAECO ?
Les fructanes ne sont pas les seuls en cause : tous les sucres chimiquement susceptibles de fermenter et présentant certaines caractéristiques chimiques précises sont impliqués dans les troubles du côlon irritable. On les a appelés « FODMAP »
Le terme FODMAP est l'acronyme dérivé de l'anglais : « Fermentable Oligo-saccharides (fructanes et galactanes par exemple), Di-saccharides (exemple, le lactose) , Mono-saccharides (glucose, fructose) And Polyols” (ex.: sorbitol, mannitol, maltitol, xylitol et isomalt ).
C’est-à-dire des “sucres fermentescibles, chimiquement ‘à chaînes courtes’ et les alcools naturels qui y sont associés. Ces hydrates de carbone (sucres) sont très abondants dans l'alimentation industrielle, mais existent également dans la nature. Et notamment dans le blé, où l’on retrouve une catégorie de FODMAP vu précédemment appelée...fructanes ! Tiens ! Tiens !
Suivre un régime pauvre en FODMAP est à ce point bénéfique en cas d'intestin irritable ou d'autres troubles fonctionnels gastro-intestinaux qu’un régime a été mis au point par l’Université Monash, de Melbourne et est désormais recommandé aux personnes présentant des troubles digestifs et intestinaux.
LE TEMPS JOUE POUR LE LEVAIN
Comment dès lors expliquer que les pains au levain de blé, et même le pain au levain d’épeautre (contenant beaucoup de FODMAP) sont parfaitement tolérés par les personnes au côlon irritable ?
Il faut pour cela comprendre ce qu’est le levain.
Faire du levain de base, sans entrer dans les détails, c’est mélangez une tasse de farine avec la même quantité d'eau tiède, mettre le mélange dans un récipient en terre ou de verre, couvrir et laissez fermenter, sans y toucher, pendant 3 jours, dans un endroit tiède (20 à 25 °C.). L’alimenter pendant deux jours en farine et finalement l’incorporer à la farine qui fera le pain.
Le « laissez fermenter » correspond à l’action de ces êtres vivants microscopiques que sont les levures et les bactéries. Les levures sont des champignons à une seule cellule, microscopiques et les bactéries sont organismes vivants primitifs.
Nous vivons en partenariat avec les bactéries et les levures : elles « découpent » les nutriments et nous permettent de les digérer et assimiler. Il y en a dans l’air, dans l’eau, dans la terre et bien sûr dans la farine. Levures et bactéries comme tous les êtres vivants consomment des nutriments. Pour cela découpent, disloquent, digèrent les matières organiques qu’elles rencontrent. Et rejettent du gaz carbonique. Celui-là même qui provoque les bulles dans le levain et les trous dans la mie.
La boulangerie traditionnelle, toujours pour gagner du temps, rajoute des levures plus que de nature et ne laisse pas le temps aux bactéries de faire leur travail de digestion. Certes la pâte « lève » rapidement, mais les bactéries n’ont pas le temps de détruire les molécules de sucres, protéines et gras indigestes : les phytates (qui ruinent l’assimilation des sels minéraux), la protéine « gluten », les sucres « fructanes » et autres fodmaps. Tous ces irritants peu digestes constituent la base des intolérances intestinales. Comme toujours, il n’y a pas UNE cause, mais un faisceau de causes.
On sait donc que si le gluten intervient dans le syndrome du côlon irritable, il est loin d’être le seul en cause.
Laissez le temps aux bactéries de faire leur travail, grâce au levain, c’est éliminer largement ce que le corps peine à assimiler. C’est pourquoi les personnes sensibles au gluten, aux fodmaps et autres molécules irritantes peuvent enfin dire « Je remange du pain » !
** Texte intégral de l’étude publiée le 1er novembre 2017 dans la revue Gastroenterology :
https://www.gastrojournal.org/article/S0016-5085(17)36302-3/fulltext (pour la lire en français, clic-droit sur la souris, choix « traduire en français »)
Paul KEIRN