Mandragore (suite) : chimie, pharmacologie et mythologie
L'engouement autour de la Mandragore est tel qu'il faut mener une véritable enquête policière pour tenter de démêler le vrai du faux ou de l'incertain. On assiste comme toujours, de site en site, à des copies, des copies de copies... Ce n'est pas le propre d'internet. Les flores et autres livres de botaniques montrent une même démarche. Essayons de faire autrement !
Merci à tous ceux qui sont venus lire et parfois commenter le premier texte sur la Mandragore, qu'il est souhaitable de lire avant celui-ci. On y trouve notamment les raisons de la forme humaine de la racine et de son commerce.
Qu'est-ce qui se dit et se colporte sur les effets et les usages de la Mandragore ? Il est intéressant d'en faire un rapide recensement. Quelques sites dont certains très bien documentés permettent cette approche :
http://site.voila.fr/medicherb/mandragore.htm
Extraits :
"Nom : Mandragore
Nom scientifique : Mandragora officinarum
Autres noms : Mandrake
.../...
Usages : On utilise la mandragore contre les spasmes (entérocolites, hémorroïdes), l'asthme et le rhume des foins. On la prescrit sous forme de cataplasme pour soigner les rhumatismes et les douleurs arthritiques. Elle est aussi efficace contre les ulcères gastriques. Elle serait aussi somnifère et aphrodisiaque.
Effets : Narcotique, antispasmodique, modérateur réflexe.
Mises en garde : La mandragore est une plante toxique! Son usage n'est en aucun cas recommandé."
C'est la description type faite de la plante. Cela est-il vrai ? C'est-à-dire la composition chimique de la plante peut-elle déterminer les effets pharmacologiques décrits ?
Un autre :
http://www.sylvanimus.org/spip.php?article11
Mandragora officinarum- Mandragore
La plante :
Mandragore, Herbe de Circé, Pomme d’Amour, Main-de-Gloire, Homonculus, Anthropomorphon, Mandragora officinarum L.
(Solanacées).
Plante herbacée des régions méditerranéennes.../...
Usages :
(ndr : idem site précédent)
Il faut cependant noter les effets hallucinogènes remarquables de la plante, de plus les alcaloïdes actifs de la plante peuvent aisément traverser la peau et passer dans la circulation sanguine. .../... ce qui provoquait des états seconds avec hallucinations, sensation de lévitation et visions sataniques.
Préparation :
Décoction, teinture alcoolique, cataplasme, onguent.
Mises en garde :
La mandragore est une plante toxique, et il en faut peu pour ressentir ses puissants effets narcotiques pouvant être très éprouvants.
Théoriquement, ses composants, scopolamine et hyosciamne, peuvent être mortels.
Histoire et légendes :
La mandragore est connue depuis fort longtemps, originaire de Syrie on la retrouve dans les pays du bassin méditerranéen, mais aussi en Egypte.
Elle est connue des Anciens et elle est signalée dans de nombreux écrits, les Hébreux et les Chaldéens l’utilisaient à des fins criminelles. .
Ses propriétés hallucinogènes et narcotiques furent largement utilisées en médecine antique et en sorcellerie, soit comme anesthésiant pour pratiquer des interventions, soit comme ingrédient pour la confection de philtres magiques.
.../...
La mandragore dans l’histoire de l’anesthésie
L’utilisation médicale de la mandragore semble très ancienne : en Mésopotamie, plus de 2000 ans avant J.C, les prêtres babyloniens de Chaldée y avaient recours sous le nom de Yabinhin pour son action narcotique et antalgique lors des rites initiatiques.
Hippocrate (460-380 av JC), auteur du célèbre "divinum est sedare dolorem", préconise son usage par voie interne en alcoolat à titre anti-dépresseur, antispasmodique et sédatif, ainsi que par voie externe pour les injections vaginales ou dans le traitement des hémorroïdes.
Théophraste (372-287 av JC), élève d’Aristote, dans son ouvrage "Histoire des plantes" conseille le vinaigre de racine de mandragore comme inducteur de sommeil et mentionne la nécessité de précautions de cueillette, sur lesquelles nous reviendrons.
A Rome, Celse (en 15 av JC), dans son "De Arte Medica" décrit son action narcotique ainsi qu’un usage en collyre huileux à visée mydriatique, comme Galien (131-205 av JC) Pline l’Ancien (23-79 av JC), dans son "Histoire Naturelle", précise que 1 cyathe = 0,45 l de vin de mandragore, entraîne une action soporifique, et engourdie la sensibilité, et la recommande avant les ponctions et incisions.
Dioscorides (41-68 av JC), chirurgien de Néron, dans son ouvrage "Matière Médicale", recommande le Morion, variété de mandragore "mâle" per-os ou en inhalation avant les amputations et les accouchements.
Apulée, au 4e siècle, rédige "De virtutibus herbarum" dans lequel il précise "si l’on doit couper ou cautériser quelque membre, ou y porter le fer, que le patient boive une demi once de mandragore dans du vin, et il dormira jusqu’à ce que le membre soit coupé, sans éprouver aucune douleur".
Au moyen âge apparaissent les éponges soporifiques (ou somnifères) ; Saint Benoît, au Mont Cassin décrit en 880, l’inhalation à usage somnifère et antalgique d’un mélange de mandragore jusquiame et opium. Les moines italiens des 12è et 13è siècles tels que P.Hugues à Lucca, Théodoric à Cervia, reprennent ces modalités d’utilisation. Le réveil est obtenu par inhalation de vinaigre.
L’ouvrage de Guy de Chauliac "la grande chirurgie" (Montpellier 1363) analyse de nombreuses recettes dites "endormitives" à base de mandragore, opium, ciguë, laitue, etc.En cette grande époque de la magie et de l’alchimie, de nombreux bréviaires, tels ceux de Villeneuve(1483), Bulléyn (1579), Della Porta (1588), Lemnius (1660) ou Lémery (1738), mentionnent l’action sédative de la plante et la possibilité de réalisation d’incisions lors de son administration.
A Londres, en 1597, J.Gérard, dans "History of plants" préconise encore le vin ou l’infusion de mandragore pour son effet somnifère et son effet "anodin" atténuant la douleur.
Depuis le 18ème siècle, l’usage de la mandragore est tombé en désuétude. Curieusement en 1847, Dauriol à Toulouse remet à la mode les éponges de sucs de solanacées et rapporte leur utilisation dans le "Journal Médico-chirurgical de Toulouse" lors de la réalisation d’amputation de doigts, d’ablation de tumeur palpébrale ou du sein, et de cure de fistule anale. .../...
Au 20ème siècle, la mention de l’utilisation de la mandragore comme antalgique ou hypnotique a pratiquement disparu des formulaires pharmaceutiques, à l’exception de quelques usages possibles comme antispasmodiques ou antitussifs. Son utilisation n’est plus que l’apanage des guérisseurs et sorciers africains qui l’utilisent pour ses effets sédatifs et hallucinogènes, ainsi que pour ses prétendues vertus sexuelles.
Sources à ce sujet : J. Hotton // Masterkush .)
Un autre :
http://lacledumiroir.forumactif.com/preparation-a-base-de-plante-f143/a-propos-du-mandragore-t6133.htm
MANDRAGORE
Constituants : Alcaloïdes (hyosciamine, hyoscine, pseudo-hyosciamine, mandragorine, scopolamine...).
Historique : La mandragore, comme la belladone ou la jusquiame est une plante de "sorcière". D'après le codex juliana, le botaniste grec Discoride reçut la mandragore comme remède magique des mains d'Heuresis, déesse de la découverte. Les puissants effets narcotiques de la mandragore et sa racine ayant parfois la forme d'un être humain, lui confère ses propriétés magiques. Selon une légende la racine était tellement dangereux de déterrer la mandragore elle poussait un cri si puissant qu'elle pouvait tuer quiconque tentait de la déterrer. C'était alors un chien attaché à la plante qui se chargeait de la déterrer. D'ailleurs selon les croyances, il en mourrait la plupart du temps. On l'utilisait principalement en sorcellerie pour des prédictions, des guérisons... On l'utilisait d'aileurs pour guérir de la folie. De nombreuses croyances et superstitions à ce sujet ont été remises en causes depuis, mais le folklore européen n'a cessé de déformer et d'entretenir ses superstitions. D'autres part ses fruits parfumés de couleurs jaunes, appelés "pommes d'amour", étaient les pommes dorées d'Aphrodite.
Usages : On utilise la mandragore contre les spasmes (entérocolites, hémorroïdes), l'asthme et le rhume des foins. On la prescrit sous forme de cataplasme .../...."
Un autre :
http://embruns.net/carnet/lectures/nicolas-machiavel-la-mandragore.html
La mandragore (Mandragora officinarum L.) est une plante de la famille des Solanacées, .../...La plante contient différents alcaloïdes (atropine, scopolamine, hyosciamine, hyoscine, etc.) aux propriétés soporifiques, sédatives et hallucinogènes, et, à forte dose, toxiques et mortelles. La tradition lui prête des vertus aphrodisiaques et fertilisantes.
Le plus précis :
WIKIPEDIA
Pharmacologie
La plante est riche en alcaloïdes psychotropes (environ 0,4 % d'alcaloïdes totaux) et autres composants nocifs. Ces substances parasympatholytiques entraînent notamment une mydriase et des hallucinations suivies d'une narcose. Il s'agit d'atropine, de scopolamine (premier sérum de vérité), et surtout d'hyosciamine. En théorie, ces molécules peuvent être à l'origine d'une intoxication mortelle. Diverses présentations sont décrites pour l'utilisation de cette plante. Le suc est extrait de la tige, des feuilles ou du fruit ; la racine est débitée en rondelles et présentée sous forme d'alcoolat dans du vin de miel ; les fruits peuvent être consommés séchés. De multiples vertus thérapeutiques lui sont attribuées. Par sa composition chimique, elle est notamment sédative, antispasmodique, anti-inflammatoire (en cataplasme), hypnotique et hallucinogène. Elle présenterait également des propriétés aphrodisiaques lui conférant une vertu fertilisante. .../...
La plante était également utilisée par les guérisseuses, notamment pour faciliter les accouchements, mais aussi contre les morsures de vipère.
Dioscoride énumère de nombreuses maladies où la mandragore est d'un grand secours. Un verre d'une décoction obtenue en faisant réduire la racine dans du vin est utile "quand on ne peut dormir, ou pour amortir une douleur véhémente, ou bien avant de cautériser ou couper un membre, pour se garder de sentir la douleur"[9]. La racine préparée avec du vinaigre guérit les inflammations de la peau, avec du miel ou de l'huile, elle est bonne contre les piqures de serpent, avec de l'eau, elle traite les écrouelles et les abcès. Le jus fait venir les menstrues et précipite l'acouchement. Prudemment, Dioscoride met en garde contre la toxicité de la plante "Toutefois, il faut se garder d'en boire trop, car il [le jus] ferait mourir la personne".
Que dit l'analyse chimique actuelle de la Mandragore et les effets pharmacologiques de ses constituants :
Les annotations en rouge sont miennes.
Chemicals and their Biological Activities in: Mandragora officinarum L. (Solanaceae) - Mandrake (en anglais)
Chemicals (molécules chimiques présentes)
3,6-DITIGLOYLOXYTROPANE Root:
No activity reported. (pas d'activité connue)
3-ALPHA-TIGLOYLOXYTROPANE Plant:
No activity reported.
ALKALOIDS Root 3,000 - 4,000 ppm (ppm= parties par million ; la virgule dans les nombres en anglais équivaut à un point)
No activity reported.
APOATROPINE Root:
Antispasmodic; Respiradepressant (antispasmodique et dépresseur de l'activité respirtoire)
ATROPINE Root 10 - 20 ppm
Allergenic (allergisant) ; Analgesic (analgésique= contre la douleur) ; Anesthetic; Anhydrotic (qui conduit à la déficience ou à l'arrêt respiratoire) ; Antianoxic; Antiarrhythmic 400-1,000 ug; Antiasthmatic; Antibradycardic 300-600 ug/ims/man/day; Anticholinergic 0.55 mg/kg orl mus 10 mg/kg orl rat; Antidote (Anticholinesterase) 2 mg/man/ims; Antidote (Black Widow) la "Black widow", Latrodectus mactans, est une araignée très venimeuse, assez courante aux Etats-Unis. L'atropine est un antidote de son venin ; Antidote (Lobelia) 2 mg scu; Antidote (Muscarine); Antidote (Mushroom); Antidote (Organophosphorus) 2-10 mg/ims/man; Antidote (Poison Gas); Antidote (Tetrodotoxin) (poison d'un poisson japonais); Antiemetic; Antiemphysemic; Antienuretic; Antiherpetic; Antiiritic; Antimuscarinic; Antiparkinsonian; Antiperistaltic; Antiperspirant; Antipertussic; Antipolio; Antisialogogue; Antispasmodic; Antiulcer 500 ug/3 x/day/man; Antiuveitic; Antivertigo; Antiviral; Bronchodilator; Choleretic; CNS-Depressant; CNS-Stimulant; Hyperpyrexic; Insecticide; Mydriatic; Myorelaxant; Neurotoxic; Paralytic; Pesticide; Psychotomimetic (qui provoque des délires, des hallucinations comme dans les psychoses) ; Tachycardic 2 mg/orl/man; Transdermal; Tumorigenic; Vasodilator (les vasodilatateurs facilitent l'érection)
BELLADONNINE Root:
Anesthetic-potentiator (potentialise l'anesthésie)
CHRYSATROPIC-ACID Plant:
No activity reported.
CUSCOHYGRINE Root:
No activity reported.
HYOSCYAMINE Root 2,500 - 3,500 ppm
Analgesic; Anticholinergic 150-300 ug 4 x/day/man; Antidote (Anticholinesterase); Antiemetic; Antiherpetic ; Antimeasles; Antimuscarinic; Antineuralgic; Antiparkinsonian; Antipolio; Antisialogogue; Antispasmodic; Antiulcer; Antivertigo; Antivinous; Antiviral; Bronchodilator; Bronchorelaxant; Cardiotonic; CNS-Depressant; CNS-Stimulant; Mydriatic; Pesticide; Photophobigenic; Psychoactive; Sedative; Toxic
MANDRAGORINE Root:
Anticholinergic; Bronchodilator; CNS-Stimulant; Mydriatic
NORHYOSCYAMINE Plant:
No activity reported.
SCOPINE Root:
No activity reported.
SCOPOLAMINE Root 30 - 50 ppm
Allergenic; Amnesigenic 600 ug/man/ivn; Analgesic; Anesthetic; Antianoxic; Antiasthmatic; Anticholinergic 1.5 mg/kg orl rat; Anticonvulsant 5 mg/kg ipr mus; Antideliriant; Antidote (Anticholinesterase); Antidote (Tetrodotoxin); Antiemetic; Antiherpetic; Antihiccup 300 ug/man/; Antiinflammatory; Antimanic; Antimeasles; AntiMeniere's; Antimuscarinic; Antiparkinsonian; Antipolio; Antisialogogue (qui inhibe la salivation); Antispasmodic; Antiherpetic; Antiulcer; Antivertigo 500 ug/3-days/transdermal; Antiviral; Bronchodilator; Cardiodepressant; CNS-Depressant; Cyclopegic; Dermatitigenic; Hyperkinetic 1 mg/kg ipr mus; Hypnotic; Mydriatic 1 mg/kg scu; Photophobigenic; Preanesthetic; Psychoactive; Sedative 0.5-1 mg/orl/man 13 mg/kg scu rat; Tachycardic
SCOPOLETIN Plant:
Aldose-Reductase-Inhibitor IC50=6.2 ug/ml cow; Allelochemic IC89=2 mM; Analgesic; Anesthetic; Antiadrenergic; Antiaflatoxin 11.4 ppm IC50=65 uM; Antiarrhythmic; Antiasthmatic; Antibacterial; Antibronchoconstrictor; Anticholinergic; Antiedemic; Antifeedant; Antihepatotoxic; Antiinflammatory ED 1-10 ug/ear; Antileukotrienogenic; Antimutagenic; Antioxidant; Antiproliferant; Antiprostaglandin; Antiseptic; Antispasmodic; Antitumor 2.9 ug/ml; Apoptotic; Bronchorelaxant; Cancer-Preventive; Cholagogue; Choleretic; CNS-Depressant; CNS-Stimulant; Cytotoxic; Fungicide 2 mM; Hepatoprotective; Herbicide; Hypoglycemic; Hypotensive; MAO-Inhibitor; Musculotropic; Myorelaxant; Pesticide; Phytoalexin; Phytohormonal; Uterosedative
SCOPOLINE Plant:
No activity reported.
TROPIC-ACID Plant:
No activity reported.
On trouve dans la mandragore les trois grands alcaloïdes des Solanacées connues dans l'univers sorcier : atropine, scopolamine et hyosciamine. Que l'on retrouve dans le Datura ou la Jusquiame. Elles agissent à des doses très faibles (voir les ppm) et - ne jamais oublier - "le poison c'est la dose", elles sont mortelles. Comme toujours l'action de chacune des substances présentes n'est pas une addition. C'est une combinaison d'actions parfois contradictoires, qui se neutralisent ou au contraire se potentialisent réciproquement. Ce qui est remarquable c'est que toutes les actions pharmacologiques décrites depuis l'antiquité se retrouve dans les substances. On pouvait se douter des actions les plus remarquables, anesthésique, analgésique, soporifique, psychotropes, hallucinatoires, formant un tout cohérent. Il n'en va pas de même de lui attribuer en plus des vertus contre l'ulcère de l'estomac, antibactérienne, les piqûres de serpent ou une action aphrodisiaque (effet vasodilatateur indiqué). C'est pourtant le cas. Comme quoi la transmission de milliers d'expériences de bouche à oreille ou par les écrits fonctionne. Cela me confirme personnellement dans l'idée que dans les récits, les recettes, les descriptions parfois ésotériques, il y a une part de vrai (la part scientifique) qui - à l'époque - n'a pu être expliquée (ou seulement avec les visions du monde de l'époque), ou encore que les auteurs n'ont pas souhaité que l'on reproduise leurs découvertes. A la science s'ajoutaitsans doute déjà , comme aujourd'hui, des questions d'argent et de pouvoir, comme la Mandragore nous le montre (Cf premier texte).
PS - J'ai une hypothèse concernant la présence du chien lors de l'arrachage de la Mandragore. Elle vaut ce qu'elle vaut. Imaginons le sorcier qui conduit son "client" la nuit dans la forêt un soir de pleine lune, histoire de dramatiser la situation. Comment le sorcier retrouverait-il le pied de mandragore qu'il a replanté quelques heures auparavant en pleine nature...sans le flair d'un chien ?