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Natures Paul Keirn NATURES, SCIENCE & TRADITIONS, CONSOMMATION & SANTÉ

Les secrets de fabrication du Beaujolais nouveau !

13 Novembre 2019 , Rédigé par Paul KEIRN

Les secrets de fabrication du Beaujolais nouveau !

Le Beaujolais nouveau est un vin « primeur » (c’est-à-dire mis en vente rapidement après la récolte), produit dans le vignoble du Beaujolais, uniquement à partir des appellations d'origine contrôlée Beaujolais et Beaujolais-villages. Et au moins au trois-quart à partir du cépage Gamay noir. C’est précis !

La date de sortie officielle du Beaujolais nouveau est fixée au troisième jeudi du mois de novembre « Les vins bénéficiant d'une indication géographique protégée complétée par les mentions "primeur" ou "nouveau" sont mis en marché à destination du consommateur le troisième jeudi du mois d'octobre de l'année de récolte » précise le décret n°2011-1628 du 23 novembre 2011 - art. 1

Le Beaujolais nouveau doit être composé de 85 % de Gamay Noir au minimum. Des cépages dits « accessoires » sont autorisés dans une limite de 15 %, parmi lesquels sont autorisés, des vins rouges (N), blancs (B) ou gris (G) : le chardonnay B, l'aligoté B, le melon B, le pinot gris G, le pinot N, le gamay de Bouze N et le gamay de Chaudenay N.

« Alors je cherche mon frère chez ma respectable cousine Berthe »

Si vous entendez un amateur de vin dire, en regardant des bouteilles, « Alors je cherche mon frère chez ma respectable cousine Berthe », dites-vous bien qu’il n’a pas bu, ou pas encore. En fait, il utilise un moyen mnémotechnique pour se remémorer les appellations du Beaujolais. L’initiale de chaque mot de cette phrase représente l’une de ces appellations. Reprenons : « Alors Je Cherche Mon Frère Chez Ma Respectable Cousine Berthe ». Avec A pour Saint-Amour, J pour Juliénas, C pour Chénas, M pour Moulin-à-Vent, F pour Fleurie, C pour Chiroubles, M pour Morgon, R pour Régnié, C pour Côte-de-Brouilly et enfin B pour Brouilly. Vous connaissez les dix appellations du Beaujolais.

On en sait un peu plus sur le Beaujolais nouveau. Mais surtout sur la manière dont il est encadré juridiquement. Ce qu’on ne peut deviner, c’est la raison de ses saveurs tout à fait originales dans l’univers du vin. Avec des arômes banane, violette, fruits rouges, voire bonbons anglais ou vernis à ongles. Ce qui suit a pour objet de vous l’expliquer.

Une technique particulière

Le Beaujolais nouveau nous invite à comprendre deux manières différentes de faire du vin. En simplifiant à l’extrême, la plus simple et la plus ancienne manière consiste à mettre des grains de raisin au fond d’une cuve, à les écraser (les « fouler ») et à attendre que la fermentation transforme naturellement le sucre des grains en alcool.

Pour le Beaujolais nouveau et tous les vins « primeurs », il faut d’abord cueillir les grappes une à une, et donc à la main, les disposer dans une cuve hermétiquement fermée remplie de gaz carbonique et attendre que les grappes fermentent puis s’écrasent sous leur propre poids et poursuivent leur fermentation. Étrange non ?

Quel que soit le mode de vinification, deux conditions président à la fermentation : l’absence d’air et la température. En dessous de 15°, pas de fermentation. Elle doit être de 18° à 20° pour les vins blancs et sont optimales pour les vins rouges vers 28 à 30°. Et davantage encore pour les vins primeurs. Heureusement la fermentation dégage de la chaleur.

Résumées comme ça, les différences ne sont pas bien grandes et n’expliquent pas les saveurs aromatiques étonnantes du Beaujolais nouveau, les fameux arômes banane, bonbons anglais, fruits rouges et vernis à ongles !

Pour comprendre, il faut approfondir ce qu’est la chimie de la fermentation.

Les levures !

Les êtres vivants les plus nombreux sur Terre sont de très loin les bactéries et les levures. Laissons de côté les bactéries, bien qu’elles représentent 2 à 3 kilos de notre poids corporel ! On en dénombre 230 000 par millimètre carré sur notre peau. Intéressons-nous plutôt aux levures qui sont les principaux acteurs de la fermentation. Les levures sont de microscopiques champignons à une seule cellule. Des organismes vivants qui respirent, mangent, se reproduisent.

Sachant cela, on va tout de suite comprendre pourquoi il est question de cuves hermétiques et d’utilisation de gaz carbonique. C’est qu’à l’air libre, les levures respirent...de l’air (elles vivent en mode « aérobie »). Et si elles respirent l’air ambiant, elles ne s’occupent pas du jus de raisin. Donc pas de fermentation. En revanche, en les privant d’air (mode « anaérobie »), elles ne vont trouver leur énergie vitale qu’en dégradant le sucre des fruits. Les levures vont découper chimiquement les molécules de sucre du jus de raisin, principalement du glucose, et en tirer l’énergie nécessaire à leur survie. C’est la fermentation.

Chaque molécule de glucose va être transformée en deux molécules d’alcool et deux molécules de gaz carbonique. C’est cela qu’on appelle la fermentation alcoolique : la transformation du sucre en alcool et en gaz carbonique, à l’abri de l’air et à une température suffisante.

C’est valable pour tous les fruits et graines et pour ce qui est du raisin, c’est le processus de vinification. Le site archéologique de Dikili tash, à l’est de la Grèce, est l’endroit le plus ancien qui présente des traces de vinification par les hommes du Néolithique : c’était il y a 6500 ans ! Les archéologues ont découvert que le raisin était de la vigne des bois, la sauvage Lambrusque, et que son jus était additionnée de figues avant fermentation... On à peine à imager le goût de ce vin ! La consommation de jus fermentés doit en fait remonter bien longtemps avant, sans doute à l’aube de l’humanité.

Le secret du Beaujolais nouveau : un autre type de fermentation.

Eh bien, le Beaujolais nouveau n’est pas du tout conçu de la même manière !

Dans la vinification classique que nous venons de voir, ce sont les levures qui agissent. Dans le Beaujolais nouveau ce sont les enzymes contenues dans le jus du grain. Elles, les enzymes, font le même travail que les levures. Les enzymes sont des protéines qui agissent comme des « ciseaux chimiques » capables de découper les autres molécules. Grâce aux enzymes, le glucose va se transformer une fois encore en alcool et en gaz carbonique. Mais pas seulement : le travail des enzymes va, en plus, libérer des molécules aromatiques qui n’existent pas ou peu dans la fermentation liées aux levures. Là est le secret du Beaujolais nouveau ! Ce sont ces molécules aromatiques... d’acétate d’isoamyle (ouf) qui donnent les fameux « goût banane » et « fruits rouges » propres aux vins primeurs et donc aux Beaujolais nouveaux. Pour faire savant, on parle gustativement de « nuances amyliques » !

On cueille les grappes à la main et on fait attention de ne pas écraser les grains pour que les levures présentes sur la peau des grains de raisin n’interviennent pas ! Pour que la pulpe à l’intérieur du grain s’autodétruise lentement sous l’action des enzymes avant que le grain n’éclate.

Tout le monde a déjà vu la « pruine » à la surface des grains (pruina en latin, givre). Ce sont de minuscules gouttelettes de cire produites par le grain entre lesquelles les levures s’installent. Les grains produisent de la pruine, non pas pour fournir un logement aux levures, mais pour se protéger du soleil, de certains parasites et réguler les entrées d’eau (la pluie glisse sur la pruine) et les sorties d’eau (la pruine ralentit l’évaporation).

Macération carbonique et macération semi-carbonique

Une fois la cuve remplie de grappes les plus intactes possible, il y a deux manières de procéder : soit on remplit la cuve de gaz carbonique et on la ferme hermétiquement. Comme ça on est sûr qu’il n’y aura ni oxydation, ni ralentissement de la fermentation à cause de l’air résiduel. C’est la macération carbonique.

Les grains s’écrasent sous leur propre poids et les levures présentes sur la peau commencent à intervenir. Mais c’est trop tard ! 40 % du jus auto-fermenté s’est déjà écoulé avec ces extraordinaires saveurs. C’est le « vin de goutte », d’écoulement naturel résultant de la pression. Il est suivi d’un pressage, le plus doux possible, pour récupérer une grande partie des 60 % restant: c’est le « vin de presse ». Le pressoir doit agir en douceur afin de ne pas extraire trop de tanins des rafles. La rafle étant le bois de la grappe. Ce qui rendrait le vin plus âpre. Les tanins sont de puissants conservateurs (pensons au tannage des peaux). Ils sont utiles au « vin de garde ». Mais comme le Beaujolais nouveau est destiné à être bu très rapidement, les tanins lui sont inutiles. Et pour sa saveur, regrettables.

Une autre méthode n’utilise pas la saturation de la cuve en gaz carbonique. Cette fois, on laisse la cuve, non-hermétiquement fermée, se remplir du gaz carbonique rejeté par l’auto-fermentation. Le gaz carbonique monte peu à peu et finit par remplir la cuve. C’est la macération dite « semi-carbonique ».

Les vins primeurs sont réalisés selon la macération carbonique ou semi-carbonique, qui ne dure environ quye quelques jours. Dans les deux cas, les vins sont ensuite soumis une fermentation classique aux levures pendant 8 à 10 jours. Mais les «nuances amlyliques » déjà sont là et y demeurent !

Des techniques récentes

Si le Beaujolais est nouveau, au sens de primeur, il est également le résultat de travaux assez récents. Les macérations carboniques et semi-carboniques datent seulement du siècle dernier, avec les travaux de Michel Flanzy (1902-1992), œnologue et chercheur à la station oenologique de l’INRA à Narbonne, qui a fini la mise au point de la macération carbonique en 1934. Sans oublier Jules Chauvet (1907-1989) négociant- éleveur de vin et chimiste, installé à La-Chapelle-de-Guinchay, en plein coeur du Beaujolais. C’est le père du vin alors appelé « vin naturel », défenseur d’une vinification sans le moindre intrant et donc du vin bio. Un grand précurseur dont plus de 500 viticulteurs s’inspirent aujourd’hui.

 

Paul KEIRN

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